les généticiens contre sarko

Les propos de Nicolas Sarkozy [ J'inclinerais, pour ma part, à penser qu'on naît pédophile ou Les circonstances ne font pas tout, la part de l'inné est immense." ] ont appelé des commentaires de généticiens, comme Axel Kahn, sur les ondes de quelques radios ou dans les pages de quelques journaux, et, en attendant la réaction des sociétés savantes (il y en a huit, dont la Société Française de Génétique et la Société Française de Génétique Humaine) sur un sujet qui devraient les rappeler à de douloureux souvenirs, il semble utile aux signataires de ce texte de sadresser à lopinion.

Il faut rappeler que cette question de lhérédité, comme déterminant possible de faits sociaux, est une vieille histoire dans laquelle la génétique balbutiante des années 20-30 sest fâcheusement compromise. Mais le développement de cette discipline a permis, avec le temps, de prendre conscience et de mesurer lampleur des simplifications abusives et des aberrations auxquelles certains de ses disciples sétaient laissés aller durant cette période.

1. Un peu dHistoire :

- Depuis 1869 et la publication par Francis Galton de louvrage sur lhérédité du talent , tout un courant faisant indûment appel au Darwinisme, sous la forme dite du Darwinisme social , prétend que les maux dont souffre la société, le paupérisme, lalcoolisme, les déviances sexuelles, les pathologies psychiatriques, seraient dorigine naturelle, donc de naissance car déterminées par lhérédité qui a pris ensuite le nom de génétique (le développement de la génétique moderne ne datant que des années 1910-1920).

- A partir de ce point de vue, Galton en 1883 et bien dautres (Weismann et Haeckel en Allemagne, Gobineau, lun des initiateurs du concept de race aryenne, et Vacher de Lapouge en France), ont développé un Eugénisme qui consistait à dire que, si toutes ces tares étaient dorigine génétique, il convenait den tarir la source : les américains, les suédois et les allemands entreprirent des stérilisations forcées, parfois massives ; les nazis allèrent plus loin en 1934 avec léradication par euthanasie. Les anglais, au nom de lHabeas Corpus, ne firent rien.

- En France, ce type dopinion a toujours été minoritaire et le fait de cercles dextrême droite : notre prix Nobel de médecine, Charles Richet, soutenu par un autre prix Nobel, Alexis Carrel, proposa en 1919 la suppression des anormaux et leur collègue, le ... Binet-Sanglé leur en suggéra le moyen par lutilisation du gaz . Mais sous Vichy, les seules mesures prises seront de type nataliste et non eugénique.

Toujours est-il quil convient, devoir de mémoire et conscience citoyenne obligent, de connaître son Histoire.

2. Un peu de génétique :

Les généticiens passent leur temps à démontrer au laboratoire, et à enseigner à leurs étudiants, que si rien de biologique nexiste sans les gènes , il est absurde dimaginer que tout est dans les gènes , cela vaut pour lintelligence, le génie ou la sexualité et ses déviances.

De la même manière, il est absurde de considérer que tout le Requiem de Mozart est dans sa partition, puisque ce quon entend dépend aussi des interprètes, de leurs instruments et du chef dorchestre.

Les gènes (la partition) ne suffisent donc pas à déterminer un caractère complexe comme un comportement, cognitif ou sexuel, car le vécu (lorchestre et les instruments), en loccurrence, léducation, lapprentissage ou le manque dapprentissage, viennent superposer leurs effets, de la même façon que les couches répétées de neige viennent enrober les reliefs rocheux au point de pouvoir en effacer les formes.

On sait quil existe des facteurs génétiques de risque pour le diabète ou lobésité, mais même ici, le généticien ne dira pas que cest de naissance, puisque la maladie suppose, pour se développer, ladjonction de nombreux facteurs de risque du milieu.

Si des facteurs de risque peuvent éventuellement exister, encore quon nen a pas le moindre début de preuve, pour le suicide ou la pédophilie, il serait de toute façon absurde de dire que cest de naissance . Dire cela revient à simplifier outrageusement le problème en réduisant sa causalité à un déterminisme génétique supposé et non démontré, alors quil existe un déterminisme social ou sociétal évident, massif et accessible à la connaissance : on ne peut disculper la société de sa responsabilité dans le suicide ou la pédophilie en faisant appel à dhypothétiques facteurs génétiques de risque. Pour prendre un exemple tragiquement récent, la société américaine ne saurait éviter danalyser ses propres responsabilités dans la tuerie du campus de Virginia Tech au motif que le tueur était dépressif et violent et quil pourrait peut être y avoir des facteurs génétiques de risque.

Est-il besoin aussi de rappeler quil est possible dagir sur les facteurs du milieu par laction sociale ou éducative alors quil serait difficile dagir sur des facteurs génétiques, à moins de retomber dans les errements du passé rappelé ci-dessus ?

3. Que penser de ces propos ?

Soit il sagit de propos délibérés, soit il sagit de propos maladroits.

La première hypothèse serait grave car elle signifierait quils sont destinés à un frange très extrême de lélectorat et, au demeurant, maladroits car bien à droite et pouvant indisposer une fraction beaucoup plus majoritaire de cet électorat (il suffit de considérer la réaction immédiate de léglise catholique, traditionnellement opposée à toute forme deugénisme).

La seconde, la maladresse, est plus vraisemblable, mais nen est pas moins inquiétante si on considère que cette réaction spontanée traduirait alors le fond de la pensée de Nicolas Sarkozy sur le déterminisme de certains des maux tragiques de notre société.

Ceci semble bien confirmé par les propos additifs des jours suivants ; ce type de pensée à lElysée constituerait là aussi une rupture avec la tradition française.

Signataires :

* Jean-Louis Serre, professeur de génétique à luniversité de Versailles-Saint Quentin en Yvelines, membre du conseil dadministration de la SFGH (Société française de génétique humaine).

* Bernadette Limbourg-Bouchon, professeur de génétique à luniversité de Versailles-Saint Quentin en Yvelines, secrétaire générale de la SFG (Société française de génétique).

* Jean-Michel Rossignol, professeur de génétique à la faculté de Paris Sud (Orsay).

* Catherine Bonaïti-Pellié, directrice de recherche INSERM (unité de génétique épidémiologique et structure des populations humaines), secrétaire générale adjointe de la SFGH (Société française de génétique humaine).

* Simone Gilgenkrantz, professeur émerite de génétique humaine, CHU de Nancy.

* Bernard Prum, Laboratoire Statistique et Génome, CNRS-INRA-Université d'Evry

* Laurent Becquemont, professeur, Service de génétique moléculaire et pharmacogénétique, Faculté de médecine Paris Sud (Orsay).

* Jean François Bureau, chef de Laboratoire à l'Institut Pasteur

* Bertrand Fontaine, professeur à Paris VI, chercheur en génétique humaine et directeur de laboratoire INSERM

* Avner Bar-Hen, professeur de biostatistiques, Universite Paris 13

* Françoise Clerget, directrice de l'Unité INSERM de génétique épidémiologique et structure des populations humaines.

* David Tregouet, chercheur en génétique statistique, unité INSERM 525.

* Mehdi Alizadeh, Assistant scientifique, Laboratoire HLA, EFS (Etablissement français du sang) de Rennes

* Jean-Luc Vayssière. Professeur de Biologie à l'université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

* Brigitte Simon-Bouy, docteur en médecine génétique humaine, docteur es science, directeur adjoint du laboratoire de diagnostic génétique SESEP.

* Etienne Mornet, PhD, PAST à lUniversité de Versailles, directeur adjoint du laboratoire de diagnostic génétique SESEP.

* Catherine Brenner-Jan, CR-HDR, CNRS UMR 8159, université de Versailles.

* Claudie Isnard, professeur de génétique à Paris VII, Institut Jacques Monod, Paris.

* Christine Mutti, médecin généticien, présidente du réseau GIFO (Génétique Ile de France Ouest).

* ... Pascale Kleinfinger, cytogénéticienne, Insitut Pasteur-CERBA.

* Nicolas Janin. Docteur en Médecine, Docteur es Sciences, Génétique Humaine CHU de Liège, Belgique (citoyen français)

* ... Nathalie Leporrier, MCUPH Génétique, Département Génétique et Reproduction, CHU Caen

* ... Marie-France Portnoï, Laboratoire de Cytogénétique, Hôpital Saint-Antoine

* Sylvie Girard-Orgeolet, MCU-PH de Génétique, Université René Descartes/ Groupe hospitalier Cochin Saint-Vincent-de-Paul

* Jean Pierre Siffroi, Professeur à la Faculté de Médecine de lUniversité Pierre et Marie Curie, Chef du Service de Génétique et dEmbryologie médicales à lhôpital Armand Trousseau.

* Florence Richard, MCF, cytogénomique et évolution, Universite Versailles Saint Quentin

* Evelyne Heyer - Professeur de génétique des populations humaines - Muséum National d'Histoire Naturelle.

* ... Clarisse Baumann, PH, génétique clinique, Hôpital Robert Debré, Paris

* Edith Heard, PhD, Mammalian Developmental Epigenetics Group, UMR 218 - Nuclear Dynamics and Genome Plasticity, Curie Institute.

* Vincent Colot, ... Unité de Recherche en Génomique Végétale (URGV), UMR INRA 1165 - CNRS 8114 Université dEvry.

* Guillaume Stahl, MCF, Université Paul Sabatier, CNRS - LBME, Toulouse.

* Franck Viguié, Laboratoire de Cytogénétique - Service d'Hématologie Biologique, Hôpital Hôtel-Dieu, Paris.

* Sylvie Odent, médecin, Professeur de Génétique médicale, CHU de Rennes

* Laurent Pasquier, PH Unité de Génétique - Hôpital SUD, Rennes.



28/04/2007
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