Censures
21 février 2007
Caricatures : Mahomet, d'accord, mais pas la police !
"Je préfère l'excès de caricature à l'absence de caricature", écrit Nicolas Sarkozy dans la lettre lue à l'audience lors du procès de Charlie Hebdo. L'ennui, c'est que le soutien à la liberté d'expression du candidat UMP s'avère à géométrie variable. En tant que ministre de l'Intérieur, il est en charge des cultes, ce qui ne l'a pas empêché de prendre parti en faveur des caricatures de Mahomet. Mais son poste place Beauvau en fait d'abord et surtout le premier flic de France, et quand il s'agit de la police, Sarkozy ne chante plus la même chanson. Le dessinateur Placid, poursuivi pour son illustration du livre Vos papiers, au motif que la représentation qu'elle fait d'un policier constituerait à la fois une injure et une diffamation publiques, peut hélas en témoigner. D'abord relaxé en première instance - à la suite d'une plainte déposée en 2001 par le ministre de l'Intérieur de l'époque, le "socialiste" Daniel Vaillant - il a vu le parquet faire appel et un nouveau procès s'est déroulé en novembre dernier. Placid s'y est défendu seul, sans avocat. "Jai produit des photocopies duvres de dessinateurs célèbres pour leurs portraits ou caricatures de policiers (Siné, Cabu, etc.). Ce qui semblait mêtre reproché était le nez retroussé du policier, proche du nez dun cochon. Jai aussi produit des exemples de ma production de dessins, où on peut voir des "nez de cochon" sur toutes sortes de personnages", raconte-t-il. Une défense qui n'a pas convaincu les juges puisque le verdict est tombé le 18 janvier et que le dessinateur est condamné pour "injures publiques envers une administration, en loccurrence la police nationale" à une amende de 500 euros. Une somme qui peut sembler dérisoire, sauf lorsqu'elle doit sortir de la poche d'un particulier n'ayant pas forcément la chance de "travailler plus pour gagner plus" : "Une amende de 500 euros est plus compliquée à supporter pour moi quune amende de 500 000 euros pour, disons, un responsable de Elf", explique Placid, qui aurait pu citer Total. Il n'est pas le seul condamné dans l'affaire : l'éditeur Michel Sitbon, responsable de la maison L'esprit frappeur, qui a publié l'ouvrage, devra acquitter 800 euros et Clément Schouler, l'auteur de ce livre écrit sous l'égide du syndicat de la magistrature, 1000 euros. Que reproche-t-on à ce dernier ? Une phrase : "Les contrôles d'identité au faciès, bien que prohibés par la loi, sont non seulement monnaie courante, mais se multiplient". Il suffit d'interroger, au hasard, les habitants des banlieues, pour se convaincre de la véracité de cette affirmation. Oui mais voilà : dans la France actuelle, on n'a pas le droit de l'écrire. Le jugement expose en effet que cette phrase est "attentatoire à l'honneur et à la considération de la police nationale" et "présente en conséquence un caractère diffamatoire à l'encontre d'une administration publique". Le journaliste Denis Robert a réagi en signant samedi dernier un article titré Bienvenue à Sarkoland, où il s'indigne en ces termes : "La vraie censure est en marche. Elle est perfide, efficace et économique. Elle défend lhonneur des multinationales, des vedettes du foot ou du show biz et des premiers ministres. Elle sattaque aux petits éditeurs, aux dessinateurs sans ressources, aux écrivains et aux journalistes indépendants. Elle use et abuse de mises en examen et de frais de procédure. Elle sopère méthodiquement dans le silence des tribunaux, des campagnes électorales. Et des journaux. Elle est en train de gagner la partie." Un Denis Robert qui s'y connaît en persécutions ! Plume de presse s'associe à lui pour dénoncer cette condamnation indigne et le "deux poids, deux mesures", qui autorise à représenter le prophète de l'Islam avec une bombe à la place du turban, mais pas un policier avec un nez de cochon. Pour la liberté d'expression, grouik !
Posté par Olivier Bonnet