Onfray taille le costume
Démagogue en chef, par exemple, Jacques Chirac creusant la fameuse fracture sociale pendant un quart de siècle daction politique aux plus hauts sommets et, après sen être indigné, sollicitant les électeurs pour la combler ; Jacques Chirac polluant pendant le même temps les nappes phréatiques avec ses décisions en matière agricole et, après sen être offusqué, affirmant la nécessité dune écologie quil incarnerait ; Jacques Chirac violant la République pendant des décennies des frais de bouche aux emplois fictifs , en passant par les marchés truqués ou les faux électeurs- et sen disant le garant comme chef de lEtat. La liste est longue, chacun le sait...
Prétendant au remplacement et au titre, Nicolas Sarkozy est en passe de décrocher la timbale. Car ce maire refusant la construction de logements sociaux dans sa ville de Neuilly ; cet homme de parti plusieurs fois traître à son camp ; cet encarté défendant une politique de droite depuis son plus jeune âge ; cet allié des puissants fort avec les faibles, faible avec les forts ; cet ami des patrons de presse qui demande et obtient le licenciement d un directeur de journal qui expose sa vie privée en dehors des clous fixés par le ministre habituellement iconophile ; ce vindicatif fasciné par les nettoyages de banlieues au kärcher ; cet expéditif qui assimile tout jeune des banlieues à de la racaille ; ce courtisan de Georges Bush auprès duquel il tient des propos de féal de lautre côté de lAtlantique ; ce ministre qui convoque place Beauvau le directeur dune maison dédition pour interdire un livre à paraître sur son épouse volage ; cet homme, donc, nexiste pas, ou plus, car il a changé
Ce Nicolas Sarkozy est mort. Enterré. Fini. Décédé. Terminé. Disparu. Trépassé. Plus dun quart de siècle dune carrière politique senvole en fumée. Plus de traces. Pas de preuves. Cétait hier. Aujourdhui, plus rien nexiste comme avant. Car il a changé sous le coup dune souffrance : cet homme, rendez-vous compte, a été trahi, abandonné, quitté par sa femme dont il est tombé amoureux le jour même où, maire qui officiait, il a décidé quelle ne resterait pas longtemps lépouse de Jacques Martin, le mari du jour. Avec ce banal adultère des familles, Nicolas Sarkozy a appris la douleur, la peine, le petit homme est devenu grand. Désormais, il peut être Chef de lEtat.
Donc cet homme nouveau na plus rien à voir avec le méchant, le partisan, le sectaire, le traître, le disciplinaire, lautoritaire, le velléitaire, le réactionnaire, le colérique, lirascible, le nerveux, latrabilaire, le susceptible, larrogant, lambitieux quenseignent trente années de pratique politicienne de Neuilly à Beauvau . Et cette métamorphose, promis, juré, craché, na rien à voir avec le désir dobtenir les suffrages délecteurs qui disposeraient encore d un peu de mémoire et dont lintelligence ou le bon sens auraient survécus au pilonnage médiatique et hagiographique massif depuis des années de matraquage iconique.
Dès lors, lhomme nouveau, le Nicolas rédimé, le Sarkozy métamorphosé, le candidat aux stigmates présidentiels fait sa déclaration de candidature là même où Chirac avait fait la sienne qui offrira un jour à cet homme le que sais-je ? sur la psychanalyse ? Le canard enchaîné prouve dans son édition suivante quil ny avait pas plus de 25.000 personnes, la presse quasi unanime, déjà aux ordres, annonce 100.000 , et ne publiera pas de rectificatif là comme ailleurs.
Son porte plume Henri Guaino taille le costume nouveau : cet homme qui soutient et met en uvre depuis trente ans la politique libérale qui génère chômage, misère, pauvreté, délocalisations, paupérisation cite Jaurès et de Blum ; ce maire qui refuse les bâtiments sociaux dans sa ville en appelle maintenant au droit opposable au logement ; le copain des coquins patrons de presse qui débarquent le directeur de Paris Match responsable de la publication de licône de ladultère uxoral se fend dune lettre de soutien à Charlie Hebdo embarqué dans un procès moyenâgeux au nom de la liberté de la presse ; le quêteur donction américaine qui fait acte dallégeance à Bush et se désolidarise des positions françaises à la Maison Blanche se réclame désormais du Général de Gaulle et de la Résistance ; ce pourfendeur des syndicats, de la réduction du temps de travail, de labaissement de lâge de la retraite, du droit de grève célèbre la mémoire du communiste Guy Môcquet ; cet homme aux rares neurones intellectuels, qui, pour toute caution culturelle, met en avant Doc Gynéco, Christian Clavier, Johnny Hallyday courtisan de tous les présidents de la V depuis quil paie des impôts-, cet être qui, hier, ricanait et sortait son revolver dès quil entendait le nom de La princesse de Clèves, cite aujourdhui Voltaire, Victor Hugo , Emile Zola ; ce traître, ce cynique, cet immoraliste, cet apostat multirécidiviste se paie même le culot den appeler à la morale, aux valeurs, aux vertus ; cet aspirant nettoyeur de banlieues convoque blacks et beurs sur les podiums de ses meetings ; cet habitué des palais de la République, de lor des logements de fonction , des lambris de ministères, des voitures avec gyrophares, et escortes policières, débarque devant les caméras en Renault de gamme moyenne pour monter à la tribune et convoquer une fois encore Jaurès et Blum , mais à la Mutualité cette fois ci !
Si lon veut désormais que les mots puissent encore signifier, alors recadrons les choses et destinons lui celui de démagogue, de candidat de la démagogie, de roi de la démagogie, de chef de la démagogie, de président de la démagogie. Trente années de politique , de la mairie au ministère en passant par les instances départementales et régionales, témoignent de la nature véritable de cet homme de droite qui revêt aujourdhui des habits de la gauche.
Cest un loup déguisé dans les vielles nippes dune grand-mère. On connaît lhistoire Je crains que les habits nouveaux séduisent les amateurs dhistoire, de fable, de romans, de films, de fictions. Le soir du deuxième tour, la grand-mère pourrait bien apparaître à la fenêtre de lElysée, les habits du travestissement abandonnés à même le sol , démaquillée, avec le visage quon lui connaît depuis trois décennies : celui dun prédateur. Ce soir là, il sera trop tard pour tous les chaperons - rouges ou non
destinons lui celui de démagogue, de candidat ...
ONFRAY